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VU DU FUTUR :
UN ROMAN / ENSEMBLE DE NOUVELLES INEDIT



Homme de science, physiologiste, et poète avant tout, Boris Rybak a également écrit, seul ou en collaboration, des œuvres de fiction qui ont été retrouvées rassemblées dans un manuscrit intitulé Vu du futur, œuvres dont la taille varie, pour la plus importante d’entre elles (Les lanceurs), entre le roman et la nouvelle longue, les autres récits (L’homme du soleil rouge, Archéologie, Le royaume de ce monde, Le virus) étant plus proches du format traditionnel de la nouvelle.

Ces œuvres sont qualifiées par Boris Rybak lui-même de «philosophie-fiction» dans le Prière d’insérer.

Redécouvertes en 2013, elles relèvent toujours, cinquante ans plus tard (voir plus loin pour les éléments de la datation), de l’anticipation la plus audacieuse.


éléments pour l'authentification du manuscrit de Vu du futur


N.B. Cette étape est rendue nécessaire pour les raisons suivantes :
Ces éléments nous amènent à formuler l’hypothèse que Boris Rybak aurait pu concevoir les idées directrices et le «squelette» de ces récits, en rédiger une partie (dont Archéologie, qui paraît plus abouti), en dicter une autre, et laisser son fils Léonard, né en 1949, donc âgé de 13 ans environ à l’époque de la rédaction, écrire une bonne partie des textes, n’intervenant que lors des phases de correction (il existe plusieurs versions dactylographiées des textes). Encore ces corrections ne furent-elles pas menées à terme.

On note en tout cas une dissonance forte entre la substance, révélant des connaissances pluridisciplinaires étendues (chimie, géochimie, géophysique, génétique, ingénierie, principalement), et l’expression, qui manifeste un niveau beaucoup plus «juvénile» et qui paraît en tout cas incompatible avec celui manifesté par Boris Rybak dans ses écrits. Le texte est d’ailleurs inégal, avec parfois de vraies maladresses non imputables à une dictée ou réductibles à de simples «coquilles».

Ou alors, le texte est écrit très précocement par Boris Rybak, autour de 12-13 ans par exemple. Dès 1939 en effet, donc à 16 ans, il est admis à la faculté des sciences de Rennes, Institut de chimie (cf. sur ce site, la rubrique Biographie), ce qui suppose d’importantes connaissances scientifiques acquises dès avant cet âge. Mais même alors, il faudrait admettre un saut qualitatif énorme dans le niveau stylistique de ses écrits en seulement quelques années (cf. la maturité d’expression manifestée dans ses poèmes surréalistes : Le Linceul des marées (dès 1943), repris plus tard dans le recueil Images du verbe, et dès 1944, ses textes, voir à la rubrique Notes manuscrites de Boris Rybak : Fragments, aphorismes, réflexions, poésies). Ce saut paraît peu vraisemblable.

Et par ailleurs, les éléments pour la datation de ce manuscrit orientent plutôt vers les années soixante (cf. plus loin).

Quoi qu’il en soit, la présence de Boris Rybak est sensible, voire évidente :


Indices dans les textes
  1. le concept de «ruban de Möbius» est évoqué à de multiples reprises, notamment en pp. 54, 55, 56, 57, 58 de Vu du futur, où il joue un rôle important. Le cours de «Sémiotiques et Langages» de Boris Rybak de 1979 à l’université de la Sorbonne Nouvelle / Institut de linguistique et de phonétique générales et appliquées (dactylographié par l’un de ses étudiants, M. Laurent Tchang), développe longuement le concept du ruban de Möbius et des surfaces topologiques, par exemple en p. 24.
    Le concept du ruban de Möbius fait également l’objet d’un chapitre complet (chapitre XXI) dans l’ouvrage de Boris Rybak Vers un nouvel entendement, Denoël-Gonthier, Paris (1973), sous le titre «Les niches écologiques» (cf. sur ce site la rubrique Ouvrages).
    De même, les notes manuscrites de Boris Rybak font état de ce concept à de nombreuses reprises, comme par exemple, dans ces notes manuscrites datant des années soixante.

  2. l’extrait suivant de Vu du futur :

    « […] Ce miroir toujours tourné vers l’origine insaisissable, vers l’arrière, ce devait être pour leurs esprits par trop faibles comme les parois d’une prison éternellement réfléchissante. On trouve d’ailleurs trace d’un appareil très remarquable mais inachevé et qui devait précisément servir à retrouver dans le détail le passé et à le stocker. L’inventeur avait imaginé de reprendre la lumière diffusée par certaines surfaces cosmiques et, l’examinant avec une sorte de microscope, de retrouver les images des événements antérieurs qui s’étaient produits au cours des éclairements successifs de Géa. L’histoire redevint visible.»
    Vu du futur
    , Archéologie pp. 92-93,

    est à comparer avec cet extrait de l’article «L’infini en lumière» (1965) :

    «La réalité rêveuse se révèle lorsque la conscience se prend à estimer l’écart entre notre contrainte physique et les possibilités de l’imaginaire. L’instrument décrit ici est une machine optique simple dont la fonction est d’assurer une contemplation qui dépasse la fascination par son contenu méditatif […] Il s’agit d’un ensemble de deux miroirs plans […] dont les faces réfléchissantes orthogonales sont opposées […] la problématique prend un caractère particulier si la source rayonnante est constituée par l’univers entier […] A l’obscurité l’infini est invisible, il cesse d’être occulte quand la flamme brille ».

  3. des mots et expressions peu fréquents, mais appartenant au vocabulaire courant de Boris Rybak, telles que «wunderkind», sont retrouvés à de multiples reprises dans le manuscrit de Vu du futur (ex. pp. 52, 55, 57, 58).

Indices hors texte


Les deux éléments suivants nous paraissent enfin décisifs pour l’authentification du manuscrit :
  1. l’extrait suivant évoquant Vu du futur, a été retrouvé dans les notes manuscrites de Boris Rybak des années soixante :

    « […] Vu du futur est une attitude prospective à rebours qui est une revanche sur Gaston Berger(1) lorsqu’il s’était souvenu de Banyuls/mer(2) (je lui disais alors : Demain on saura résoudre tel et tel problème - Pourquoi pas aujourd’hui ? Et alors œuvrer dans cette perspective pour rattraper le futur).
    Livre d’épouvante, pourquoi pas ? Mais livre d’épouvante métaphysique. Cela est salutaire. Cf. Bible. Cf. e Foë, Swift, Kafka de La Métamorphose, etc.»

  2. Un «Prière d’insérer», écrit de la main de Boris Rybak, a également été retrouvé en proximité des manuscrits :

    «Il y a de l’impossible ici mais c’est humour ou manière de [? illisible] à l’approche de la philosophie-fiction. Tout le possible est par ailleurs vertueux et, en nos temps corrodés [ce dernier mot de lecture incertaine], c’est là sans doute gageure la plus provocante.»


Datation du manuscrit de Vu du futur


Le texte semble avoir été écrit dans le début des années soixante.


Indices internes au texte, notamment :

A noter que s’agissant d’un récit d’anticipation (qui projette donc dans le futur), on peut considérer que Boris Rybak n’a pas imaginé les développements fulgurants de l’informatique au même niveau qu’il a su prévoir ou imaginer ceux des sciences.


Indices externes au texte, notamment :


Accessibilité

Le manuscrit dans ses différentes versions est déposé dans le fonds Rybak, consultable sur rendez-vous à l’Alliance israélite universelle. Un éditeur de science-fiction pourrait se pencher avec profit sur ce récit d’exception, et de futurs chercheurs lèveront peut-être le mystère de sa rédaction.



Marie-Simone Sztern Klapholz



(1) Gaston Berger (1896-1960), résistant, professeur de philosophie. En 1949, il est chargé des relations culturelles entre la France et les Etats-Unis. Il devient directeur de l'enseignement supérieur du ministère de l'Éducation nationale en 1953. Il fonde la revue Prospective et le centre du même nom avec André Gros en 1957. Il est l'inventeur du terme prospective, qui signifie «étude des futurs possibles» [biographie abrégée, adaptée de Wikipedia].

(2) Banyuls-sur-Mer. Boris Rybak écrivit sa thèse de sciences naturelles à la Station de Banyuls (Laboratoire Arago / Observatoire océanologique de Banyuls-sur-Mer), dans les années cinquante.